Innovation : quand le « toujours plus » vire à l’absurde

Innovation absurde

Un éditorial paru dans les Echos « En finir avec la religion du toujours plus » a retenu mon attention. Il offre un point de vue critique mais intéressant sur l’innovation. Et je partage son constat de départ mais je trouve que les solutions envisagées prêtent à confusion et sont incomplètes. Car aborder l’innovation sans sortir du schéma habituel est le plus sûr moyen de se retrouver dans une impasse.

Un constat partagé : la course à l’innovation jusqu’à l’absurde…

Dans un marché saturé, mature où l’hyper concurrence sévit, les concurrents ont tendance à innover « toujours plus » pour ne pas paraitre obsolètes.

Mais cette course à l’innovation (ce que l’auteur appelle « la religion du toujours plus ») pose deux problèmes :

  • Comme les produits sont déjà très performants et sophistiqués, les améliorer coûte de plus en plus cher ;
  • Dans cette course, les entreprises ont tendance à « sur-servir » les clients, c’est-à-dire qu’elles offrent des fonctionnalités dont la plupart des clients se passent très bien. En conséquence, cette stratégie leur apporte peu d’avantages puisque leurs clients ne sont pas prêts à payer plus cher pour ces innovations.

Par exemple, la dernière version de l’iPhone offre une fonctionnalité très sophistiquée de reconnaissance faciale. Mais une grande partie de la clientèle trouve que le déverrouillage par code ou par empreinte digitale est suffisant. Ils préfèrent attendre avant de renouveler leur iPhone. En conséquence, les ventes diminuent.

Faut-il baisser les prix ?

L’auteur poursuit son raisonnement en disant qu’il vaut mieux « casser les prix et viser une stratégie de volumes pour maximiser les profits ».
Or, il existe 3 manières de mener une politique de prix bas. Les confondre pourrait vous mener à l’échec.

  • Baisser les prix en sacrifiant la qualité : les clients ne vous suivront pas car ils ont été habitués à un certain niveau de qualité. C’est une stratégie à éviter.
  • Baisser les prix à qualité égale en faisant du cost killing :tous les concurrents vont s’aligner immédiatement sur vos prix. C’est délicat car vous engagez une guerre des prix qui ne peut être gagnée que par celui qui a la structure de coût la plus basse.
  • Vous pouvez aussi adopter la rupture par le bas (appelée« stratégie lowcost »): vos prix sont plus bas que l’entrée de gamme du marché et vous visez des clients en dehors du marché habituel. C’est une stratégie difficile à mettre en œuvre car il vous faut une structure de coûts et un modèle économique radicalement différents. De plus, la difficulté augmente pour un acteur établi car son business model habituel (celui qui a fait sa réussite) doit être complètement remis en question. Et il ne peut pas capitaliser sur les compétences et les ressources existantes.

Si vous parvenez à construire la structure de coût la plus basse, ou si vous créez une rupture par le bas (lowcost), vous obtiendrez une longueur d’avance sur vos concurrents car il leur sera très difficile de vous imiter.
Pour en savoir plus :
Eviter de confondre stratégie de rupture par le bas et casse des prix

Faut-il miser sur la qualité de service ?

L’éditorialiste des Echos suggère ensuite une seconde piste pour échapper au « toujours plus » : il conseille de miser sur la qualité de service. Cela consiste à apporter une grande attention au client et à améliorer l’expérience-client.

S’il s’agit d’améliorer le produit par le service, c’est une innovation incrémentale (amélioration de l’existant) qui est facilement imitable par la concurrence. En fait, vous retombez dans les mêmes travers que le « toujours plus ».

En revanche, pour échapper à une course absurde à l’innovation, au « toujours plus », il existe une solution : la rupture par le sens. Il s’agit de changer le sens du produit, c’est-à-dire la raison pour laquelle le client l’achète. Par exemple, lorsque Deezer ou Spotify proposent de la musique en fonction de votre humeur via des abonnements, ils modifient radicalement la façon de consommer la musique. C’est aussi ce qu’Apple a fait quand il a lancé le premier iPhone et a pris le leadership à Nokia.

Ce type d’innovation de rupture est accessible aux entreprises établies car elle leur permet de capitaliser sur leur réputation, leurs compétences et leurs ressources. Elle a l’avantage de dérouter la concurrence qui ne comprend pas tout de suite l’utilité de vous imiter. Cela vous laisse une longueur d’avance significative.

Pour en savoir plus sur l’innovation de sens :
L’innovation de sens : une stratégie disruptive accessible aux entreprises établies
L’innovation de sens en 5 étapes

En finir avec l’absurde…

Cet éditorial des Echos montre, sans le vouloir, que vous risquez de retomber dans cette logique du « toujours plus » alors même que vous tentez de vous en échapper. Pourquoi ? Parce que, sans en avoir conscience, vous restez dans le schéma habituel de l’innovation incrémentale (appelée aussi innovation continue).

Pour la plupart des gens, le terme « innovation » se résume à l’innovation incrémentale, c’est-à-dire l’amélioration de ce qui existe, tout en restant dans le même cadre de pensée. Par exemple, vous améliorez les performances de votre produit mais sans en repenser les usages.

Utilisée à bon escient, l’innovation incrémentale peut être bénéfique. Mais dans un marché saturé et hyper concurrentiel, elle ne donne que des avantages à court terme. Elle amène la surenchère dans l’innovation et aboutit à des absurdités.

Si vous souhaitez sortir de l’océan rouge de l’hyper concurrence, vous devrez vous lancer dans une logique d’innovation de rupture (appelée aussi innovation disruptive) qui demande une approche élargie et une remise en question globale de tous les éléments qui composent votre business.

Lire aussi l’éditorial des Echos:
En finir avec la religion du « toujours plus »

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3 réflexions sur « Innovation : quand le « toujours plus » vire à l’absurde »

  1. Merci Benoit pour cet article intéressant.
    Il est vrai qu’en suivant la stratégie du « toujours plus » on risque parfois de basculer dans le produit « gadget » qui s’éloigne du vrai besoin de l’utilisateur. Du marketing pure sucre à prix salé !
    Mais en réalité, tant que l’innovation a du sens pour l’utilisateur et que le produit concerné possède des ressources d’amélioration, je n’y vois pas trop de limite.
    On met le doigt ici sur des questions difficiles : Comment estimer qu’un produit arrive à bout de souffle ? A partir de quand le marché devient favorable à l’adoption d’un produit de rupture ? Le débat est ouvert 😉
    A bientôt,
    Laurent Cachalou

    1. Un bon moyen est d’évaluer la « rentabilité » des améliorations possibles : si les améliorations qui peuvent être faites sont coûteuses pour un bénéfice client limité, c’est que le marché est saturé et qu’on tombe dans le « toujours plus » et que le produit est à bout de souffle. Savoir si le marché est favorable à l’adoption d’un produit de rupture est une tout autre question : cela dépend essentiellement du fait qu’il y a une portion de clients très insatisfaits des solutions existantes et du bénéfice apporté à ces clients par l’innovation en rupture. Cela dépend beaucoup de la créativité de l’innovateur en rupture.

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