Vous n’avez pas besoin de « deep tech » pour créer une innovation de rupture

Innovation de rupture sans deep tech, l'exemple de Nespresso

Le gouvernement français a décidé d’investir dans l’innovation de rupture avec la création d’un fond de 10 milliards d’euros. Il demande à Bpifrance (Banque Publique d’Investissement) de recentrer les subventions sur les start-up de la « deep tech ». L’intention est louable mais le raisonnement est erroné.

Apple, Facebook, Airbnb, la Logan de Renault, Blablacar, la Freebox, etc. sont des réussites éclatantes, mais ce sont des innovations de rupture sans « deep tech ».

Ce n’est pas qu’une question de sémantique. La confusion entre « deep tech » et « innovation de rupture » pourrait avoir de lourdes conséquences sur le devenir des jeunes pousses françaises. Explications…

La différence entre « innovation de rupture » et « deep tech »

Il est important de distinguer quatre types d’innovation :

  • L’innovation « deep tech » (ou rupture technologique, ou pour certains, innovation radicale).
    Elle crée des solutions à partir des technologies les plus avancées et requiert des années de développement R&D. En voici quelques exemples : l’intelligence artificielle, l’internet des objets, la blockchain, le big data, le machine learning, etc.
  • L’innovation basée sur les technologies existantes, parfois appelée « low tech ».
    Contrairement à l’innovation « deep tech », elle demande un investissement faible en R&D.
  • L’innovation de rupture (ou disruptive)
    L’innovation de rupture rend accessible aux clients une solution qui paraissait hors de portée. Elle crée une nouvelle catégorie de produits qui n’existait pas. Elle exige souvent un modèle d’affaires différent.
  • L’innovation incrémentale (ou continue)
    C’est une amélioration du produit existant, sans le remettre en question. C’est par exemple le passage de l’iPhone 7 à l’iPhone 8.
Clarifier les stratégies

Ces types d’innovation ne sont pas exclusifs et peuvent se combiner comme le montre le tableau ci-dessous :

Innovation incrémentale Innovation de rupture
Deep tech HDTV Google
Low tech iPhone8 Logan, Airbnb
  • L’innovation de rupture « deep tech »
    Prenons l’exemple du moteur de recherche Google. C’est une innovation de rupture qui rend accessible à l’utilisateur une solution qui paraissait hors de portée : trouver instantanément les réponses les plus pertinentes à sa requête parmi l’ensemble des informations disponibles sur le web. C’est aussi une innovation « deep tech » qui repose sur des algorithmes complexes et performants pour dénicher et classer l’information en un éclair. L’impact de ce type d’innovation est spectaculaire. Grâce à son moteur de recherche, Google domine la publicité en ligne qui est encore, 20 ans après, sa principale source de revenus. Elle a acquis un avantage pérenne en supplantant ses concurrents, comme Yahoo qui était le pionnier du moteur de recherche.
  • L’innovation incrémentale « deep tech »
    Les technologies « deep tech » peuvent également mener à une innovation incrémentale. C’est le cas de la HDTV, une nouvelle technologie de définition et de transmission des images de télévision. Il a fallu plus de 10 ans pour la mettre au point et 10 autres années pour la déployer dans tous les foyers. Sa complexité a demandé une collaboration de tous les acteurs du secteur : centres de recherche, entreprises, organismes de normalisation. Mais la HDTV a simplement amélioré les performances de la télévision : les téléspectateurs regardent les émissions de HDTV exactement de la même manière qu’ils le faisaient auparavant. La technologie n’a pas créé un nouveau marché. Elle n’a pas créé de nouveaux relais de croissance. Elle n’a pas créé de nouvelles licornes dont la France rêve.
  • L’innovation de rupture basée sur les technologies existantes
    Lorsque Renault a lancé la Logan, il a choisi de n’utiliser que des technologies existantes. C’est un exemple d’innovation de rupture « par le bas ». Pour plus de détails, vous pourrez lire l’article « Innovation de rupture par le bas, l’exemple de la Logan ». Un autre exemple, celui d’Airbnb, une plate-forme numérique, technologie déjà existante à l’époque de son lancement. La stratégie adoptée est celle de l’innovation de rupture de type « nouveau marché ».
  • L’innovation incrémentale basée sur les technologies existantes
    L’iPhone8 est un bon exemple d’innovation incrémentale, utilisant les technologies existantes. Il permet à Apple de maintenir son avantage concurrentiel, mais ne crée pas de nouveau marché ni un nouveau relai de croissance.

Les « deep tech » produisent rarement des innovations de rupture

Les « deep tech » conduisent généralement à des innovations incrémentales car le système complexe de collaborations qu’elles exigent, y est propice. En effet, alors qu’une start-up peut mener seule une innovation de rupture « low tech », elle a besoin de s’allier à des centres de recherche et des grandes entreprises pour une innovation de rupture « deep tech ». Les centres de recherche leur apportent la connaissance approfondie des dernières avancées technologiques, les grandes entreprises la capacité financière et industrielle pour mener des recherches longues et les industrialiser. Malheureusement, les centres de recherche et les grandes entreprises vont inciter les start-up à suivre un axe d’innovation incrémentale. Voici pourquoi :

  • Les centres de recherche sont mal outillés pour deviner les opportunités de marché d’une innovation de rupture. En effet, cette dernière répond aux besoins latents des clients, c’est-à-dire ceux qu’ils ne savent pas exprimer tant qu’ils ne les ont pas expérimentés. Les centres de recherche, qui n’ont pas de connexion étroite avec le marché, n’ont pas la capacité à deviner les besoins latents des clients. Lorsqu’ils imaginent les applications de leurs technologies, ils pensent naturellement qu’elle peut répondre à des besoins déjà connus et bien documentés : ils s’orientent ainsi vers des innovations incrémentales.
  • Sous la pression des actionnaires, les grandes entreprises ont tendance à préférer l’innovation incrémentale parce que son impact sur le marché est prévisible grâce à l’historique. Au contraire, l’innovation de rupture peut donner des résultats spectaculaires mais elle demande une approche spécifique et on ne peut pas prévoir son impact en se basant sur l’historique (le marché n’existe pas encore).
  • Seules les start-up ont l’état d’esprit adéquat pour viser l’innovation de rupture. Mais elles ont peu de poids pour inciter les centres de recherche et les entreprises à maintenir le cap sur l’innovation de rupture. Faute de financement suffisant, elles n’ont pas les moyens de maintenir longtemps une direction aussi ambitieuse. Google est une exception : elle a réussi car elle est parvenue à générer des revenus très vite grâce à la publicité.

Les innovations de rupture « deep tech » telles que Google, sont extrêmement rares et difficiles à mener. En général, les entreprises qui se lancent dans la « deep tech » aboutissent à des innovations incrémentales, non à des innovations de rupture.

L’innovation incrémentale permet à des entreprises établies de conforter leurs parts de marché et d’améliorer provisoirement leur avantage concurrentiel mais elle ne permet pas de le faire durablement. De plus, elle ne permet pas à des start-up de devenir des champions à l’échelle internationale.

Seule l’innovation de rupture permet à des entreprises de dominer un marché de manière durable. Seule une stratégie disruptive peut faire émerger une « licorne », voire un champion à l’échelle mondiale.

C’est pourquoi il est important pour le gouvernement et les différents acteurs de comprendre que les « deep tech » ne produisent pas nécessairement des innovations de rupture. Sans une telle prise de conscience, les 10 milliards d’euros que le gouvernement mettra sur la table risquent d’être investis dans des innovations incrémentales qui ne créeront ni des champions français, ni de nouveaux marchés en croissance.

Créer une innovation de rupture avec ou sans « deep tech »

L’innovation de rupture sans « deep tech » ne doit pas être sous-estimée. Les nombreux exemples de réussites en attestent : Logan, Blablacar, Airbnb, Facebook, Salomon, Free, Nespresso, Ikea, la tente 2 secondes de Décathlon, Le Cirque du Soleil, Compte Nickel, etc.

Pour réussir l’innovation de rupture « deep tech », il faut une démarche rigoureuse. Cette démarche est contre-intuitive car elle contredit les raisonnements stratégiques traditionnels.

Dans le prochain article, je vous donnerai des conseils de stratégie à suivre pour développer le business d’une entreprise grâce à l’innovation de rupture, qu’il s’agisse d’une « deep tech » ou d’une technologie existante.

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3 réflexions sur « Vous n’avez pas besoin de « deep tech » pour créer une innovation de rupture »

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