Les disruptions de marché sont de plus en plus nombreuses. Aujourd’hui, aucun secteur n’est à l’abri. Votre entreprise est-elle bien armée pour y faire face ? Pour le savoir, voici 3 points à observer attentivement…
- Votre entreprise est-elle fixée sur ce qui existe ?Les équipes qui travaillent sur un marché établi sont plongées tous les jours dans la vie de leur marché : les besoins des clients, les points forts et les points faibles des solutions existantes, les capacités des concurrents, l’histoire des expériences réussies ou ratées par les différents acteurs…
Victimes de « l’effet de fixation » (Marine Agogué, 2012), elles imaginent des choses très proches de ce qu’elles connaissent déjà. Il est donc difficile d’imaginer quelque chose qui n’existe pas encore. Et réagir à temps, face à une disruption, c’est comprendre qu’une innovation en apparence très éloignée de votre marché, que vous jugez apriori non pertinente, constitue en fait une véritable menace.
Par exemple, même si Airbnb est très éloigné de l’activité des chaines hôtelières, cela n’a pas empêché ce nouvel entrant de devenir un acteur majeur du marché.
- Avez-vous les yeux rivés sur le haut du marché ?En effet, sur le haut du marché constitué par les produits haut de gamme, les profits sont plus faciles à réaliser. Mais abandonner le bas de marché, c’est-à-dire les produits bas de gamme, à un nouvel entrant est une grave erreur. Cela revient à laisser entrer le loup dans la bergerie. Car ce dernier peut ensuite améliorer son offre et, fort de sa structure de coûts allégée, viser le marché principal. Il est alors trop tard pour réagir.
C’est ce qui s’est passé lorsque Toyota a mené une innovation de rupture par le bas en entrant sur le marché des Etats-Unis avec la Corona, une berline de bas de gamme : les constructeurs américains n’ont pas réagi. Et lorsque Toyota est monté en gamme, et a pris des parts de marché significatives avec la Camry et ensuite la Lexus, il était trop tard.
Au contraire, Intel a su réagir à temps face à AMD qui offrait des processeurs moins consommateurs et moins chers à destination des PC portables de bas de gamme. Intel n’est pas resté immobile en se contentant de dominer le marché du haut de gamme. Il a su réagir en lançant la gamme Celeron, une offre dont la structure de coûts était adaptée au bas du marché. Intel a su contrer l’offensive d’AMD pour préserver son leadership.
- Votre entreprise est-elle en mode « inertie active » ?L’inertie active (Donald Sull) est le phénomène suivant : face à une situation imprévue, les équipes s’activent en conservant la même stratégie et les mêmes modes de fonctionnement qu’auparavant, sans chercher à adapter leur approche. Elles s’accrochent aux recettes qui ont fait les succès du passé, que ce soit dans les choix de stratégie, de processus, de partenariats, ou de valeurs.
Malheureusement, même si ces recettes ont prouvé leur pertinence auparavant, elles ne s’appliquent pas nécessairement à la situation nouvelle. Il ne faut pas hésiter à remettre en question toutes les recettes connues, même les plus brillantes…
Sull cite le cas de la réaction de Firestone lorsque Michelin a bouleversé le marché US avec l’innovation de son pneu Radial. Firestone était le leader aux Etats-Unis et lorsque ses équipes ont compris la menace de Michelin, elles ont réagi vite en se lançant elles aussi dans la fabrication du Radial. Mais ce fut un échec parce qu’elles sont restées accrochées aux anciens modes de pensée.
Elles n’ont pas remis en question les méthodes de fabrication alors que le Radial exigeait un niveau de qualité bien supérieur. Elles ont gardé le même niveau de production pour les usines qui produisaient les anciens pneus alors que ces derniers devenaient obsolètes. Elles ont retardé la fermeture d’usines en conservant l’hypothèse erronée que les volumes continueraient à croître alors que les pneux Radial s’usaient deux fois moins vite. L’inertie active les a fait chuter.
En ces temps de disruptions, l’innovation de rupture constitue la réponse la plus puissante. Mais votre entreprise est-elle prête ?
- Votre entreprise est-elle fixée sur le court terme ?Une innovation de rupture peut prendre plusieurs années. Les délais sont bien supérieurs à ceux de l’innovation incrémentale et pourtant les effets sont plus puissants. Par exemple, il a fallu 11 ans pour que le marché grand public bascule vers la photo numérique (de 1991 à 2002).Au début, l’idée innovante ne concerne qu’une niche émergente avec des volumes de ventes ridicules en comparaison du business de l’entreprise établie.
Il est courant pour les acteurs existants de la juger non attractive et de ne pas la poursuivre. Cette opportunité qui aurait pu devenir intéressante est éliminée et c’est dommage ! C’est ce qu’a fait Kodak qui a préféré continuer à se concentrer sur la pellicule que mettre tous ses efforts dans le numérique.
- Le modèle d’affaires de cette innovation est-il très différent de celui de votre entreprise ?Il est très difficile de changer de modèle d’affaires. Car celui-ci détermine la nature de l’activité et les relations que l’entreprise a avec son environnement : les clients, les canaux de distribution et les partenaires. Il fixe les processus opérationnels qu’elle met en œuvre, son flux de revenus et sa structure de coûts. La maîtrise de ces processus forme un savoir-faire solide acquis au cours des années qui constitue les compétences cœur de l’entreprise. Certains de ces processus sont documentés formellement, d’autres restent informels et se transmettent par le biais de la culture de l’entreprise.
Par exemple, l’excellence d’un groupe comme Accor à gérer des hôtels a peu d’utilité lorsqu’il s’agit de créer une plateforme de mise en relation entre particuliers comme le fait Airbnb.
Lorsque l’innovation de rupture exige d’adopter un modèle d’affaires différent de l’activité existante, il est préférable de créer une entité distincte qui permettra de mettre au point un nouveau modèle d’affaires. Pour répondre à la menace Airbnb, le groupe Accor a pris des parts dans plusieurs start-up de ce secteur, en maintenant les organisations séparées…
- Les équipes ont-elles peur de l’inconnu ?Quand un membre de l’équipe émet une idée en rupture, c’est la peur de l’inconnu qui refroidit les ardeurs. Les dirigeants ne savent pas si le marché existera et quelle taille il aura. Ils ignorent tout des besoins des clients. Ils ne connaissent pas les concurrents qui seront sans doute des acteurs non traditionnels. Ils n’ont aucun moyen d’évaluer la validité du business plan.
Ces incertitudes font que l’opportunité est jugée trop risquée. C’est ce qui explique que les moteurs de recherche n’ont pas été conçus par les opérateurs traditionnels de télécommunications comme France Télécom ou AT&T, alors que ces derniers avaient toutes les cartes en main. Ils avaient une armée d’ingénieurs très compétents, l’accès au grand public, une marque reconnue, une première expérience avec l’annuaire électronique ou le minitel. Au contraire, les moteurs de recherche ont été lancés par Yahoo puis par Google, des start-ups inconnues qui n’avaient aucun de ces acquis. Ce qui a fait la différence, c’est que leurs fondateurs n’ont pas hésité à se lancer dans l’inconnu.
Mes conseils :
- Mesurer sur le long terme le potentiel de l’innovation de rupture
- Rester vigilant sur l’effet de fixation et s’ouvrir à l’inattendu
- Ne jamais laisser des nouveaux entrants prendre pied sur le bas du marché
- Créer des entités séparées lorsqu’il est nécessaire de changer de modèle d’affaires
- Ne pas hésiter à remettre en question les recettes du passé, même si elles ont fait votre succès
- Accepter l’incertitude







Comme toujours, c’est un excellent article!
Bonne continuation!
Merci Linda pour vos encouragements. Bonne continuation à vous aussi !
Très intéressant,
Est-ce possible d’avoir une liste de vos sources ?
Merci.
Voici les sources :
– Marine Agogué. « Modéliser l’effet des biais cognitifs sur les dynamiques industrielles : innovation orpheline et architecte de l’inconnu ». Gestion et management. Ecole Nationale Sup érieure des Mines de Paris, 2012.
Donald Sull « Why Good Companies Go Bad », Harvard Business review, édition de juillet-août 1999