Innovation de rupture, la théorie unique est impossible

Innovation de rupture

Le dernier article de Clayton Christensen paru dans Harvard Business Review pose des questions de fond sur l’innovation de rupture ou disruptive. Pour les entreprises qui veulent réussir leur stratégie d’innovation, c’est l’occasion pour moi de revenir sur 2 points importants qui ne sont pas traités dans la théorie de Christensen :

  1. Il faut adopter une démarche progressive dans une innovation de rupture
  2. L’innovation de rupture est un phénomène trop complexe pour être analysé sous l’angle d’une seule théorie.

L’innovation de rupture et la valeur de la théorie de Christensen

La théorie de l’innovation disruptive de Clayton Christensen a beaucoup de valeur car elle permet de modéliser un type d’innovation difficile à cerner mais très porteuse : la création d’un nouveau marché auprès de clients pour qui les offres actuelles ne sont pas adaptées.

  • L’innovation peut se faire par le low-cost, par exemple la Logan de Dacia dans l’automobile ou le Compte Nickel dans les services bancaires. C’est ce que Christensen appelle le « low-end ».
  • L’innovation peut aussi apporter au client un bénéfice inespéré, à la fois précieux et inimaginable, par exemple l’AppStore d’Apple. C’est ce que Christensen appelle le « new market ».

Pour plus de détails, vous pouvez visionner cette vidéo en cliquant ici.
Voir aussi la définition de l’innovation de rupture

Christensen restreint le champ d’application de sa propre théorie

Christensen précise sa théorie, suite aux nombreuses critiques reçues récemment. Mais cette clarification restreint désormais la notion d’innovation de rupture et contredit ses déclarations antérieures (voir la conférence de 2013). Dorénavant, ni l’iPhone, ni Uber ne sont disruptives. Par contre, d’autres innovations sont disruptives, telle l’AppStore ou Netflix, qui sont des cas extrêmes et très rares.

Dans mon travail quotidien avec mes clients, j’observe que ce qui empêche les dirigeants de dormir la nuit est bien plus souvent la menace de ruptures moins marquées mais plus nombreuses. Quel est l’intérêt pratique d’une théorie si elle ne s’applique qu’à quelques cas très limités de rupture ? Comment traiter les cas de rupture que vivent les entreprises françaises dans la « vraie vie » ?

Pourquoi il faut adopter une démarche progressive dans une innovation de rupture

Que la rupture soit plus ou moins marquée, il est important de procéder par étape. Reprenons l’exemple de l’iPhone et de l’AppStore. Pour Christensen l’iPhone n’était qu’une innovation de soutien (en anglais « sustaining innovation ») c’est-à-dire une simple amélioration de l’existant. Ce n’est qu’avec l’arrivée de l’AppStore qu’Apple a réalisé une innovation disruptive qui a permis au Smartphone de supplanter le PC portable pour accéder à Internet.

Pour moi, dès sa première version, l’iPhone a enclenché la démarche de rupture en révolutionnant l’interface utilisateur : c’est l’écran tactile convivial qui a fait d’Apple le leader du marché du Smartphone. C’était une première étape d’innovation de rupture qui a servi de socle pour la phase suivante : la création d’un écosystème d’applications développées par des tiers et téléchargeables sur l’AppStore. Sans l’interface conviviale de l’iPhone, l’AppStore aurait été un flop.

L’iPhone et l’Appstore montrent bien ce que j’observe sur la réalité du terrain : il est important de procéder par étapes. Commencez petit et vous limiterez les risques. Et vous renforcerez la relation avec vos clients lorsque vous enrichirez votre innovation. Et si vous êtes attaqué par un concurrent qui mène une innovation de rupture, ne vous fiez pas uniquement à ce que vous voyez aujourd’hui : il vous faut anticiper que son innovation s’étendra dans le temps.

Pourquoi plusieurs théories sont nécessaires

Reprenons l’exemple de Uber. Pour Christensen, l’innovation de Uber n’est pas disruptive car elle ne cible pas les « non clients » des taxis (ceux qui ne prennent pas le taxi pour diverses raisons). Comme l’attaque était frontale, le secteur a immédiatement réagi, soit par des actions en justice, soit en développant leur propre application comme celle des taxis G7. D’autre part, Uber a été immédiatement imité par des concurrents comme Chauffeur-Privé. Donc cela ne correspond pas au modèle d’innovation de rupture prôné par Christensen.

Même si Uber n’est pas disruptif au sens de la théorie de Christensen, il faut admettre que le concept a créé une rupture en bouleversant la
structure du secteur. En prenant une approche différente, celle du business model, on voit que Uber invente un nouveau modèle d’affaire inédit. Avec sa structure de coûts allégée (pas de licences, pas de parc automobile), Uber a pris de court les sociétés de taxis traditionnels concurrentes. Lorsque Uber a démarré son activité, ces entreprises eurent tendance à ne pas voir le danger : l’innovation était tellement éloignée de leur modèle qu’elles n’imaginaient pas sa réussite. Aujourd’hui, cette rupture reste encore un casse-tête pour les acteurs établis pour qui ce business model est incompatible avec leurs processus et compétences existants.

En conclusion, l’innovation de rupture est un phénomène trop complexe pour être analysé sous l’angle d’une seule théorie. La théorie de Christensen est très puissante mais ne donne pas une vision complète ni ne permet d’analyser tous les types d’innovations de rupture. Dans mon travail avec mes clients, en plus de la théorie de Christensen, j’utilise plusieurs outils et théories qui se complètent pour donner une meilleure perspective comme par exemple :

– CK (Concept-Knowledge)
– Business Model Canvas
– Job-to-be-done
– La prospective
– Les communautés d’innovation

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